Les Yeux du Monde

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1939 - 1973Guerre froide

La course à l’espace, la guerre froide mise sur orbite

La guerre froide incarne dès 1947 le témoignage géopolitique de la défiance entre États-Unis et Union soviétique. Pourtant, les deux ensembles semblent partager une volonté commune : celle d’éviter un conflit armé majeur. Tous les domaines deviennent alors des théâtres de confrontation à distance. Une nouveauté est cependant induite : ne plus se limiter à la Terre. L’espace extra-atmosphérique devient une zone convoitée. La course à l’espace est lancée.

Une photographie de Werhner Von Braun, ingénieur aérospatial du côté américain
Werhner Von Braun, ex-ingénieur allemand à l’origine des avancées américaines dans la course à l’espace

Passées les affres de la seconde guerre mondiale, le monde se retrouve dans une configuration géopolitique sans précédent. Berlin est alors l’épicentre des tensions entre grandes puissances victorieuses, et de fait un espace en proie à des luttes d’influence majeures.  Ce face-à-face larvé marque le début de ce que le journaliste américain Walter Lippmann qualifiera pour la première fois en 1947 de « guerre froide ».

Cette même année, le président américain Harry Truman expose sa doctrine du containment, prônant la priorité de contrer l’influence soviétique à l’international. Le conflit idéologique aboutit logiquement en 1948 au blocus de Berlin. Hors d’une confrontation directe, tous les domaines deviennent de fait stratégiques. États-Unis et URSS jettent toutes leurs forces dans les champs scientifiques, nucléaires ou encore politiques afin de se dépasser mutuellement. Une thématique s’érige toutefois comme l’une des plus symboliques : la conquête spatiale.

Entrer dans la course à l’espace est lourd de signification pour les deux blocs. En effet, parvenir à conquérir cet espace vierge renverrait à une victoire totale dans l’imaginaire collectif pour le vainqueur. Paradoxalement, ce sont les vestiges de l’Allemagne nazie qui offrent cette possibilité aux deux ensembles après 1945. Les technologies développées par les ingénieurs du régime étaient en effet focalisées sur le développement d’armes balistiques extra-atmosphériques telles que les missiles V-1 et V-2.

Les États-Unis lancent en ce sens dès cette année l’opération Paperclip, visant à « récupérer » près de 1500 scientifiques allemands issus du complexe militaro-industriel nazi. Ceux-ci, dont Werhner Von Braun, qui deviendra directeur adjoint de la NASA, sont d’emblée affectés à des projets aéronautiques d’ampleur. L’URSS n’est pas en reste, promouvant en parallèle une opération similaire administrée par le Département 7 du KGB. Ces transfuges permettent l’amorçage concret de la phase opérationnelle durant la décennie suivante, donnant ainsi le départ de la course à l’espace.

Une succession de temps forts soviétiques dans la course à l’espace

Une vue du satellite soviétique Spoutnik
Le satellite soviétique Spoutnik I lancé le 4 octobre 1957, incarnation du début de l’ère spatiale

La course à l’espace véhicule des intérêts majeurs en termes de surveillance, de contre-espionnage, de télécommunications et d’avancées scientifiques. L’année 1957 est en cela déterminante, notamment du côté soviétique. Face à la lente montée en puissance américaine dans le domaine, l’Union soviétique opte pour une stratégie spatiale affirmée. A la surprise générale, Moscou annonce le 4 octobre 1957 la réussite de la mise en orbite du premier satellite artificiel de l’histoire, Spoutnik. Ce coup d’éclat est double. Confirmant d’une part la supériorité technique soviétique, il constitue également un signal fort adressé aux États-Unis. En effet, Spoutnik est lancé à l’aide d’un missile R-7, arme intercontinentale originellement vouée à atteindre le territoire américain.

Cet exploit est signé de la main de l’homme fort du programme spatial soviétique, Sergueï Korolev. Le concepteur du R-7 va multiplier les avancées à court terme pour le compte de Moscou. La chienne Laïka est ensuite envoyée en orbite le 3 novembre 1957, suivie par la mission Luna 1 permettant le premier survol de la Lune le 4 janvier 1959. Cette même année, Luna 2 atteint la Lune, quand Luna 3 prend les premiers clichés de la face cachée du satellite naturel.

Les années 1960 confirment cette ambition spatiale effrénée de la part des soviétiques. La mission Venera se veut là encore une démonstration technique, devenant la première sonde à corriger sa trajectoire. Fort de ces succès, Moscou amorce une seconde phase cette fois bien plus symbolique. Le nouvel objectif consiste à remporter la bataille idéologique à grands renforts d’exploits aérospatiaux. L’URSS parvient en ce sens le 12 avril 1961 à envoyer le premier homme dans l’espace, Youri Gagarine.

L’Union soviétique est devenue une véritable puissance spatiale aux yeux de l’opinion. Ces aspirations se poursuivent avec la mission Vostok 6 et l’envoi de la première femme dans l’espace, Valentina Terechkova, le 16 juin 1963 ou encore grâce à la première sortie extravéhiculaire du cosmonaute Alexeï Leonov le 18 mars 1965. Jusqu’à la fin des années 1960, l’URSS met un point d’honneur à consolider ses avancées spatiales, avec la poursuite des missions Venera et Luna, et le lancement de la mission Soyouz. Cette ambition témoigne d’une nécessité pour Moscou d’exploiter au mieux les opportunités offertes par cette nouvelle frontière, dans un contexte de Guerre froide extrêmement tendu.

La montée en puissance américaine progressive

Sur Terre, l’atmosphère est délétère. Les crises du mur de Berlin et des missiles cubains exacerbent la rivalité spatiale à l’orée des années 1960. Le discours du président John Fitzgerald Kennedy vient consacrer cela le 12 septembre 1962. En effet, son « We choose to go to the Moon » marque la reconnaissance par Washington de la course à l’espace comme enjeu stratégique majeur, face à une Union soviétique de plus en plus menaçante sur Terre comme en orbite. La pierre d’achoppement spatiale n’est toutefois pas inédite. La réussite de la mission Spoutnik en 1957 est un véritable électrochoc pour les États-Unis.

La réponse se veut alors immédiate avec le lancement du satellite Explorer 1 le 31 janvier 1958. Celui-ci, supervisé Werhner Von Braun est concomitant à la création de la NASA, par décret du président Eisenhower. Au-devant du déploiement soviétique, Washington se veut pourtant plus pragmatique. L’essentiel des premières missions spatiales visent à marquer l’orbite terrestre du sceau américain. Le projet SCORE permet le lancement du premier satellite de télécommunications le 18 décembre 1958, suivi par Vanguard 2 le 17 février 1959 avec un satellite météorologique. Cet élan se confirme avec de nombreux autres engins lancés entre 1960 et 1964 (GRAB-1, Echo, Telstar, Syncom 2 et 3).

Le constat est pourtant sans équivoque du côté américain. L’URSS écrit presque à elle seule l’histoire spatiale. Le déploiement satellitaire américain ne concoure que trop peu à la consécration des États-Unis comme véritable acteur spatial. C’est ce que les dirigeants américains saisissent au début des années 1960, en opérant une réorientation stratégique. A l’instar de l’URSS, l’objectif symbolique devient central. La mission Mariner incarne ce changement. Le premier survol de Venus est effectué le 14 décembre 1962, suivi le 14 juillet 1965 par celui de Mars.

Une réelle « doctrine Kennedy » anime dès cette période le programme spatial américain, avec un objectif final : la Lune. Les États-Unis prennent conscience que le rattrapage sur les soviétiques, voire une victoire symbolique et idéologique dans l’espace, passera inéluctablement par l’envoi d’une mission habitée sur la Lune. La NASA inaugure en ce sens les missions Gemini – Agena, prélude de l’accession lunaire. Le 15 décembre 1965, deux modules se rejoignent en orbite. Le 16 mars 1966, ces modules parviennent à s’amarrer l’un à l’autre. Puis, vient le programme se voulant le plus central en la matière : le programme Apollo.

Les missions Apollo, tournant décisif de la course à l’espace

Trois membres de la mission Apollo 11
L’équipage de la mission Apollo 11, composée de gauche à droite de Neil Armstrong, Michael Collins et Buzz Aldrin

Le succès des missions Gemini – Agena induit un tournant dans la mentalité américaine. La Lune est en cela plus proche techniquement que jamais. C’est pourtant sous le signe de l’urgence que se place la conquête lunaire. L’universitaire soviétique Leonid Sedov déclare en effet au magazine américain Space Business Daily que « l’URSS pourrait envoyer un homme sur la Lune demain ». Washington se consacre dèrs lors pleinement à la mission Apollo 8, prenant cette annonce très au sérieux. Celle-ci est lancée le 21 décembre 1968. Ses retombées sont plus qu’inattendues : un équipage de trois astronautes quitte l’orbite terrestre, fait le tour de l’orbite lunaire et revient indemne. Ce succès se traduit surtout par l’emport d’une caméra à bord de la navette, dont les images feront littéralement le tour du monde.

Apollo 11 éclipse pourtant cette mission quelques mois plus tard. Composée de Neil Armstrong, Michael Collins et Buzz Aldrin, celle-ci décolle de Cap Canaveral le 16 juillet 1969, et alunit finalement le 20 du mois. L’évènement tant attendu que redouté par les deux blocs survient le 21 juillet 1969. C’est un petit pas pour l’homme, mais un pas de géant pour les États-Unis pour lesquels cet exploit relève de la consécration. La victoire est totale et inscrit le programme spatial américain dans l’histoire humaine.

Le programme se poursuivra jusqu’en 1975, empreint d’une certaine ironie. Il s’agit là de la première mission conjointe Apollo – Soyouz entre américains et soviétiques. Celle-ci se conclue par l’amorçage orbital entre elles des navettes des deux puissances. Malgré l’émergence contemporaine de nouvelles rivalités dans cete aire, la course à l’espace, dans son dénouement, a jeté les bases de ce que restera la conquête spatiale les années suivantes : la mise en commun des savoirs technologiques pour un but commun.

Sources :

AFP – LA TRIBUNE. « Apollo 11, symbole de la victoire américaine sur l’URSS dans la course à l’espace », La Tribune, 26 août 2012

ALBERGANTI Michel. « Conquête spatiale : le temps des exploits de la Russie (1957 – 1965) », France Culture, 21 octobre 2010

FOUCART Stéphane. « Comment les Etats-Unis ont remporté la course à la Lune », Le Monde, 20 juillet 2009

HISTORY. « The Space Race », History, 22 février 2010

Antoine Vandevoorde

Antoine Vandevoorde est analyste en stratégie internationale, titulaire d'un Master 2 Géoéconomie et Intelligence stratégique de l'IRIS et de la Grenoble Ecole de Management depuis 2017. Ses domaines de spécialisation concernent la géopolitique du cyberespace, les relations entreprises - Etats, l'intelligence économique et l'Afrique. Il est rédacteur aux Yeux du Monde depuis mars 2019.

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